Énergies fossiles et changement climatique : quelle est la situation des banques par rapport aux actifs bruns ?

19 août 2022
CMS header image

En 2008, la crise des subprimes fait basculer le monde dans une crise financière sans précédent depuis des décennies. Ce pourrait-il qu’en 2025 et au-delà, ce soient les énergies fossiles qui emportent le monde de la finance dans les abîmes ? Derrière ce sujet technique se cache ce qu’on appelle les actifs bruns. Des investissements réalisés par les banques au sein de secteurs industriels tournés vers les énergies fossiles qui ne sont pas sans risques. Explications.

Actifs bruns : de quoi s'agit-il ?

Par opposition aux actifs verts, qui sont des investissements réalisés dans les énergies renouvelables et les projets écologiques au sens large, les actifs bruns sont, eux, intimement liés aux énergies fossiles. Pétrole, gaz, charbon… les grandes banques financent massivement les énergies fossiles et cette démarche est susceptible de bousculer la stabilité financière et monétaire. La banque centrale européenne expliquait que « Le changement climatique représente une source majeure de risque systémique, en particulier pour les banques dont les portefeuilles sont concentrés dans certains secteurs économiques et, surtout, dans des zones géographiques spécifiques particulièrement exposées aux catastrophes naturelles.​» En clair, en investissant massivement dans des entreprises polluantes dont l’activité pourrait décroître brutalement en raison des changements politiques et des modes de consommation, les banques prennent des risques très conséquents.

Cela fait d’ailleurs longtemps que les ONG appellent les banques à réduire leurs financements aux énergies fossiles. Dans un rapport publié par l’Institut Rousseau et les ONG Reclaim Finance et Les Amis de la Terre, on apprend que les onze principales banques de la zone euro cumuleraient un stock de plus de 530 milliards d’euros d’actifs liés aux énergies fossiles – équivalant à 95 % du total de leurs fonds propres – dont la valeur est appelée à chuter si l’accord de Paris sur le climat est respecté. Cette dévalorisation, prédisent les auteurs du rapport, « pourrait produire d’importantes turbulences, voire générer une nouvelle crise financière ».

Les banques européennes mal préparées à la perte de valeur de leurs actifs fossiles

Le secteur des énergies fossiles bénéficie du soutien et du financement des banques depuis longtemps, et nous vivons, de fait, dans une économie carbonée. Le problème, c’est qu’en investissant massivement ce secteur polluant et fortement générateur de gaz à effet de serre, les banques disposent de moins de capacité financière pour accompagner les projets durables. En ne s’emparant pas de ce sujet clé, on risque de se retrouver dans un contexte proche de celui qui préexistait avant la crise des subprimes, où les banques, refusant pendant de longs trimestres d’ouvrir les yeux sur la catastrophe à venir, ont fait exploser une situation pourtant évitable, aboutissant à de nombreuses faillites bancaires. Rappelons qu’à l’époque, Lehman Brothers était la quatrième plus importante banque d’affaires des États-Unis avant de voler en éclat. En matière de gestion des risques bancaires, personne n’est donc à l’abri.

La transition vers une économie durable se fera sans doute sur une période de temps longue, permettant ainsi aux banques de dévaloriser graduellement leurs actifs fossiles pour réaliser une transformation et une mutation de leurs activités de financement vers des projets moins polluants et plus durables, en phase avec les attentes des pouvoirs publics et des consommateurs. 

Harvard cède sous la pression

Aux États-Unis, il n’y a pas que les banques qui investissent dans les énergies fossiles. Il y a aussi les universités, mais les temps changent. C’est ainsi que la célèbre université de Harvard a cédé sous la pression des étudiants qui se sont mobilisés pendant dix ans pour l’inciter à retirer l’argent qu’elle avait investi, via son fonds de dotation, dans les secteurs du pétrole et du gaz. Ce désinvestissement de l’université du secteur des énergies fossiles est un changement de paradigme fort permettant de contribuer à décarboner notre économie. Avec un fonds de dotation de 42 milliards de dollars, cette décision fait boule de neige. La décision prise par Harvard, plus riche université américaine, fait office de baromètre dans un sujet sensible. Ainsi, dans les jours qui ont suivi ce retrait, c’est la Boston University et l’université du Minnesota qui ont fait de même souhaitant « être du bon côté de l’histoire ». Au final, ce sont une centaine d’universités américaines qui ont pris l’engagement de désinvestir partiellement ou totalement dans les industries fossiles. Dix années de mobilisation ont été nécessaires pour parvenir à ce résultat grâce à une jeunesse qui voit l’urgence climatique non pas comme une question financière, mais comme une question morale et sociétale.

Dans une situation de reprise économique post-COVID marquée par une forte augmentation des cours du pétrole et un retour au charbon dans certains pays comme l’Inde, la Chine et l’Allemagne, la question des actifs bruns est surveillée de très près. Un sujet d’actualité hautement stratégique pour amorcer enfin un virage complet vers une économie plus verte et plus durable.