Médiatisation de la délinquance : 20 ans de dérives verbales par Driss Aït Youssef dans le journal The Conversation

11 février 2022
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Driss AÏT YOUSSEF , Docteur en droit public et expert des questions de sécurité globale, est auteur d’un article portant sur la médiatisation de la délinquance : 20 ans de dérives verbales, publié dans le journal The Conversation, le 24 janvier 2022.

Médiatisation de la délinquance : 20 ans de dérives verbales

par Driss Aït Youssef dans le journal The Conversation

Valérie Pécresse candidate à la prochaine élection présidentielle a de nouveau préconisé l’utilisation du Kärcher pour mettre de l’ordre dans la rue.

Les personnalités politiques entretiennent un rapport laborieux avec la sécurité. Ce constat concerne tout particulièrement les ministres de l’Intérieur puisqu’ils sont les plus exposés, cette mission leur revenant. Les Français attendent de leurs dirigeants et en particulier du « premier flic de France » une juste conciliation entre la garantie de sécurité et le maintien de leurs libertés.

Pour Thomas Hobbes, philosophe du XVIIe siècle, l’homme est animé d’une passion infinie pour le désir et le pouvoir jusqu’à affronter en permanence ses semblables. L’exigence de protection serait devenue l’essence même du passage de l’état de nature à l’état de droit et justifie la constitution d’un pacte par lequel chaque individu doit accepter de transférer sa liberté de nuire au souverain en contrepartie d’une garantie de sécurité collective.

Les citoyens exigent, aujourd’hui du dépositaire de l’ordre public qu’il assume cette obligation de sécurité. Elle a d’ailleurs régulièrement constitué une attention au rang de priorité pour les Français.

La défaite de Lionel Jospin, candidat à l’élection présidentielle de 2002 est encore dans les esprits. Le bilan de Nicolas Sarkozy en matière de sécurité serait aussi pour partie à l’origine de sa défaite à l’élection présidentielle de 2012.

Cette médiatisation des faits divers peut exposer dangereusement les détenteurs de la puissance publique.

Faits divers et réactions politiques

En 2002, l’affaire Paul Voise avait choqué l’opinion. Ce modeste retraité de 72 ans avait été roué de coups le 19 avril par des jeunes qui avaient fini par incendier sa maison.

Témoignant le visage tuméfié devant des caméras, ce vieil homme était présenté comme le symbole de l’insécurité en France, contribuant ainsi pour une petite part, à propulser, 3 jours après cette agression, Jean-Marie Le Pen au second tour des élections présidentielles de 2002. Ce choc politique fait, depuis, peser une menace permanente sur les gouvernants en quête de réélection.

Autre évènement, en octobre 2005, le ministre Sarkozy en visite à Argenteuil proposait aux habitants de les débarrasser de la « racaille ». Cette visite s’était opérée sous autant de projectiles que de projecteurs. Cette mise en scène était destinée à montrer un ministre de l’Intérieur offensif contre des occupations intempestives de halls d’immeuble.

En novembre 2005, certains territoires ont connu des violences urbaines inédites après le mort de deux jeunes habitants de Clichy-sous-Bois. La couverture médiatique donnait le sentiment que tous les quartiers de France étaient pris de violence alors que ce phénomène était difficilement quantifiable. Des médias qui publiaient quotidiennement le nombre de voitures brûlées ont fini par stopper ces décomptes afin d’éviter une concurrence inutile entre les territoires ce qui a, pour la circonstance enchanté le pouvoir en place soucieux de montrer une situation maîtrisée.

Autre exemple, le 19 septembre 2006, des policiers étaient pris à partie par des individus dans un quartier de Corbeil-Essonnes. Un capitaine de CRS sera hospitalisé. La mobilisation médiatique est importante. Elle conduira, même la direction de l’hôpital à organiser un pool de journalistes pour gérer un flux important de médias.

Nicolas Sarkozy alors ministre de l’Intérieur, comprendra la nécessité de visiter le policier blessé. Cette initiative marquera pour longtemps la posture davantage martiale que protectrice d’un ministre de l’Intérieur en guerre permanente contre l’insécurité.

Une rhétorique guerrière

Une décennie plus tard, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, pour marquer son engagement dans la lutte contre la délinquance, utilise une rhétorique guerrière donnant le sentiment que des territoires entiers sont contrôlés par de dangereux cartels.

Le but recherché est naturellement un fort relais médiatique de ses propos. Ces charges verbales ne font, en réalité qu’augmenter l’exaspération des Français.

Après 20 ans de médiatisation de la violence, le personnel politique n’a organisé aucun repli vers des bases plus sereines. Bien au contraire, les prétendants à l’élection présidentielle rivalisent d’idées pour le moins discutable comme la création d’un Guantanamo à la française alors même que les dirigeants américains cherchent désespérément à fermer cette aberration juridique.

Un autre candidat assimile, lui, la délinquance au « jihad ». Or, certains médias participent à cette surenchère verbale qui contribue à enflammer les débats. C’est ce que rappelle le Tribunal judiciare lorsqu’il condamne Eric Zemmour et Cnews. En effet, Eric Zemmour a été condamné en sa qualité de « complice » de la chaîne d’informations déclarée, elle, coupable d’incitation à la haine.

Ce phénomène n’est pas nouveau. Il s’inscrit même dans une stratégie politique. Elle fait un écho aux déclarations de Matteo Salvini, ancien ministre de l’intérieur italien qui ne dissociait jamais un immigré d’un délinquant.

En définitive, ceux qui prétendent lutter contre la délinquance par l’abondance d’invectives génèrent davantage d’insécurité qu’ils ne sont censés en résorber. En multipliant des propos sur une soi-disant guerre des civilisations qui se préparerait, ces acteurs alimentent un climat anxiogène. Cette surenchère leur permet de se positionner… un temps durant auprès des Français comme étant les mieux à même de combattre la délinquance.

Driss AÏT YOUSSEF, Docteur en droit public et expert des questions de sécurité

Président de l’Institut Léonard de Vinci depuis novembre 2011 à février 2022, Driss AÏT YOUSSEF est Docteur en droit public et expert des questions de sécurité globale. Sa thèse de doctorat en droit portait sur le thème de la sécurité appliquée aux Libertés.

Conseiller, formateur et intervenant, Driss AÏT YOUSSEF accompagne des collectivités, des institutions et des entreprises dans la résolution des problématiques touchant à leur sécurité.

Les recherches de Driss AÏT YOUSSEF portent principalement sur :

  • La sécurité publique/privée;
  • Le terrorisme ;
  • La prévention et la lutte contre la délinquance ;
  • Les stratégies de sécurité ;
  • Le maintien de l’ordre ;
  • Le droit de la sécurité intérieure;
  • La géopolitique de la sécurité